le 07/01/2004 à 22h56

Evra, la gauche au pouvoir

Découverte de la saison dernière à Monaco, Patrice Evra ne se prive pas pour confirmer cette saison les gros progrès de l'année passée. En réussite comme son club, il se prendrait même à rêver de maillot national... Portrait.

Un enfant des Ulis

A Monaco, en cette faste période, Didier Deschamps passe un temps fou à prévenir ses joueurs qu'ils sont attendus au coin du bois. Heureusement pour lui, certains savent d'où ils viennent et le chemin qui leur reste à parcourir. Patrice Evra fait partie de ceux-là. Si l'envie de se croire arrivé lui prend, son enfance est là pour lui rappeler que la route est encore longue.

Pour le petit Patrice, la route a commencé le 15 mai 1981 à Dakar (Sénégal) où son père était ambassadeur. Mais elle a vite quitté l'Afrique pour se diriger vers Bruxelles où son père est muté. Il n'y restera pas non plus très longtemps et ira s'installer dans la banlieue parisienne à la cité des Ulis (où il rencontre Thierry Henry). Sur le bitume, il tape dès cinq ans le ballon et apprend le football. Joueur au club des Ulis, il part à treize ans à Brétigny où il reste quatre ans. Les choses ne se passent pas toujours bien : «A 16 ans, j'ai failli rentrer au Sénégal me faire «recadrer» par mes oncles. Je volais, je me battais et je demandais même de l'argent à la sortie des boulangeries.» Heureusement il y a le football : à cet âge-là, il est remarqué lors d'un tournoi par un recruteur italien, séduit par son pied gauche et sa vitesse. Un stage au Torino lui est proposé. Après deux semaines où il joue crânement sa chance, on lui demande de rester et de jouer avec la reserve pour le moment, mais Evra préfère opter pour la série C1 lui tend les bras. Passé professionnel à Marsala, en Sicile, il dispute vingt-sept matches (et inscrit six buts) lors de sa première saison au poste de milieu gauche. «Là-bas j'étais le phénomène avec mes dix-sept ans, se rappelle-t-il, mais je ne gagnais que 800 francs par mois.»

Repositionné en défense

A l'intersaison, on entend partout que c'est un grand espoir, les grands clubs affluent pour prendre de ses nouvelles. «Oui, c'est vrai, admet l'intéressé, je devais rejoindre la Lazio, Milan ou l'Inter, j'ai atterri à Monza (en série B), où j'ai pris une claque.» En effet, malgré quelques bons matches au début, les choses ne collent pas avec son entraîneur. A la suite d'une brouille, celui-ci l'écartera même de l'équipe, ce qui limitera la saison du joueur à dix matches toutes compétitions confondues. L'expérience est encore dans la tête du jeune espoir : «J'avais honte devant ma mère quand je ne jouais pas. Combien de fois ai-je pleuré seul sur mon balcon...?» Très marqué, Evra écoute tout de même son agent Frédérico Pastorello. Devenu président de l'OGC Nice, celui-ci le fait venir sur la côte d'Azur. Il débute alors en Ligue 2 et remplit sa saison de trentre-quatre matches (un but). Habitué à jouer milieu gauche, un jour, il est pourtant replacé en défense lorsque le latéral titulaire se blesse alors qu'il ne reste plus de changement. Jamais plus il ne quittera ce poste où il s'impose désormais comme une valeur sûre. «Je n'ai jamais voulu être arrière gauche, raconte-t-il encore. Quand on m'a demandé ça à Nice, je n'y ai pas cru ! J'étais têtu, je ne voulais pas.»

A l'intersaison, la montée des Niçois récompensera la belle saison d'Evra qui veut découvrir l'élite. Cependant, les difficultés financières de son club l'empècheront de continuer sous le maillot rouge et noir et permettront à la presse de l'envoyer un peu partout. Barcelone, Arsenal, et la Juventus de Turin se l'arracheraient, mais après son expérience ratée en Italie, le joueur de 20 ans veut rester en France, ce qui fait le bonheur de Monaco. En juillet 2001, le président Campora investit deux millions d'euros pour le latéral et le confie à Didier Deschamps. Tout d'abord peu enclin à jouer avec un défenseur si offensif, le champion du Monde ne pourra résister devant les performances du Franco-Sénégalais à l'entraînement et relèguera Gaël Givet sur le banc (l'obligeant par la suite à passer à droite). Arrivé après une mauvaise saison de l'ASM, Evra ne connaîtra que les périodes fastes du club de la Principauté : dès sa première saison, il compile trente-six matches (un but), gagne la coupe de la Ligue et termine vice-Champion de France.

L'Euro ? "L'objectif-bonus !"

Cette saison ne s'est pourtant pas faite dans la facilité. Attiré par l'offensive, Evra monte très souvent, trop au goût de son entraîneur. «J'ai toujours été offensif, se défend-il. A la base, je suis attaquant. Lors des premiers matches : j'étais tout le temps devant. Deschamps m'a recadré : il m'a dit que si je voulais garder ma place, les tâches défensives ne devaient pas passer au second plan.» Son coach lui apprend donc à défendre en se faisant plaisir, à aimer tacler, le tout sans le bloquer dans son camp. Ce qui est loin de déplaire. Grâce à ses progrès, il séduit en dehors du club : Domenech le repère très vite et est séduit. Ainsi, le défenseur goûte au maillot bleu de l'équipe de France Espoirs. Positionné dans une défense à cinq, il s'amuse à dévorer son couloir sans retenue : «Avec tout le couloir pour moi, je me régalais. Ça me rappellait quand j'étais troisième attaquant en Italie.» Si l'aventure avec les Espoirs a pris fin contre le Portugal, Evra n'a malgré tout pas encore renoncé au maillot bleu pour le reste de la saison.

Toujours aussi brillant avec Monaco, tant en championnat qu'en Ligue des Champions, il se fait remarquer. Remarquer au point d'être, depuis plusieurs mois, retenu dans les pré-sélections de Jacques Santini. Malgré cela, Evra refuse de s'enflammer, il explique même «que le sélectionneur pense à moi me pousse à hausser mon niveau à chaque match. Je sais qu'il a hésité entre Réveillère et moi pour rencontrer Israël (3-0). A moi de faire en sorte que ça change la prochaine fois.» Préférant d'abord se concentrer sur les objectifs en club (où tous les espoirs sont permis), il admet aujourd'hui que l'Euro est "l'objectif-bonus" . Cependant, avant cela, il aime se rappeler le chemin parcouru : «il n'y a pas si longtemps, j'étais dans la cité en train de faire des conneries. Aujourd'hui, je vois où je suis arrivé, mais je sais aussi ce que je veux et ce que je vaux.» Ce qu'il veut ? «Que 2004 soit une très grosse année. D'abord avec mon club et, pourquoi pas, avec le maillot suprême.»

Malgré une adolescence difficile, Patrice Evra a réussi à s'en sortir par le football où il a montré ses qualités de battant. S'il ne se prive pas pour regarder en arrière ( «Le foot m'a sorti de la délinquance» ), il rêve aujourd'hui du futur, avec Monaco et peut-être même avec l'équipe de France.

Nom : Evra
Prénom : Patrice
Âge : 21 ans
Date de naissance : 15 mai 1981, à Dakar (Sénégal)
Nationalité : Franco-Sénégalais
Taille : 1m75
Poids : 76 kg
Poste : défenseur

Club actuel : AS Monaco (2001-?)
Clubs précédents : Marsala, Italie (1998-1999); Monza, Italie (1999-2000); OGC Nice (2000-2001).
Sélections : Espoir français.
Palmarès : Coupe de la Ligue 2003.

Par Olivier Cothenet, le 07/01/2004 à 22h56
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