Demba, le public français ne te connaît pas encore bien. Peux-tu retracer ton parcours ?
J'ai commencé ma vie de footballeur au Sport-Etudes de Saint-Valéry en Caux, en Seine Maritime. J'y ai fait toutes mes classes, de 12 à 16 ans. De retour en région parisienne, j'ai eu du mal à percer et j'ai fini par partir à Rouen pour un an. Malgré une très bonne saison en CFA, je n'avais strictement aucune offre en France. J'ai donc tenté ma chance à l'étranger et j'ai signé mon premier contrat pro à Mouscron, en Belgique, en 2006. J'aurais aimé percer en France, qu'on me connaisse dans ce pays. Ceci dit, je n'en veux pas aux clubs. Mais je pense que, de temps en temps, c'est bien de prendre des risques. En France, les dirigeants ont trop souvent peur de le faire.
Tu as l'air de leur en vouloirÂ…
Un peu. La région parisienne est un vivier de joueurs exceptionnel. Il est très insuffisamment exploité à mon avis. On ne fait pas assez confiance aux jeunes, cela fait partie de la mentalité française. Et c'est à cause de ça que j'ai dû aller en Belgique pour faire mes débuts professionnels. Le niveau y était plus élevé que la CFA française, c'était un club d'élite, avec des infrastructures de qualité. J'en garde un très bon souvenir, car j'y ai franchi un nouveau palier. Et pourtant, je n'ai joué que 10 matches dans la saison, les 3 premiers et les 7 derniers, à cause d'une fracture à une jambe. Avec 8 buts en 10 matches, j'ai eu de bonnes statistiques.
Comment es-tu passé de Belgique en Allemagne ?
L'été dernier, dès le début de la saison, un émissaire allemand m'a contacté. Il venait d'Hoffenheim, un club que je ne connaissais pas du tout et qui venait de monter de D3 en D2. Ils étaient 17èmes ou 18èmes du classement après quatre journées. Au début, je n'ai pas accroché du tout. J'ai dit non à leurs deux premières approches. Tout a changé quand j'ai accepté d'aller visiter les installations du club. J'ai découvert une formation bien organisée, avec un superbe stade en projet. Ensuite, j'ai reçu un DVD du match Mönchengladbach-Hoffenheim, disputée devant 40 000 spectateurs.
Ca fait réfléchir…
Oui, je dois dire que ça m'a motivé. A Mouscron, l'affluence maximale était de 10 000 personnes… J'ai décidé d'accepter la proposition d'Hoffenheim, en me disant que je faisais un pas en arrière en allant dans une D2, mais que cela me permettrait de faire deux pas en avant rapidement.
Comment se passent alors tes débuts dans un autre football ?
Sur les phases aller, mon bilan n'est pas extraordinaire, avec 2 buts en 12 matches. Mais le coach me fait toujours confiance. Et je sens une dynamique très positive dans l'équipe. J'explose sur les matches retour, en marquant 10 buts en 17 matches. On finit la saison en boulet de canon, avec 9 victoires et 1 nul sur les 10 derniers matches et une montée décrochée à la dernière journée.
Tu as appris l'allemand ?
Oui. Je m'y suis mis et ça s'est bien passé. Je dois dire que j'avais pas mal de préjugés sur l'Allemagne. Ce n'est plus le cas.
Comment le club gère-t-il la diversité linguistique de l'effectif ?
Avec une excellente organisation. Chaque joueur étranger a son professeur d'allemand attitré. L'entraîneur adjoint parle français. Et dans ce pays, tout le monde parle anglais, beaucoup plus et beaucoup mieux qu'en France. Tous les joueurs arrivent donc à se comprendre sans problème.
Hoffenheim a poursuivi sur sa lancée, puisque le club est en tête de la Bundesliga après deux journées. Es-tu surpris ?
Oui. Cela doit bien faire rigoler les gens. Nous-mêmes, nous nous étonnons ! Mais seulement à moitié. On est conscients de nos qualités. Il y a dans l'effectif deux ou trois Brésiliens à la hauteur de la réputation des Brésiliens. Et, alors que je suis toujours parmi les meilleurs aux tests de vitesse, je ne suis que dans le milieu du classement cette saison. C'est dire la densité physique de l'équipe. Sur le 30 mètres, tous les joueurs sont en dessous des 4 secondes.
Parmi tes coéquipiers, figure Vedad Ibisevic, un ancien du PSG qui n'a pas laissé un grand souvenir au Parc des Princes. Il occupe actuellement la tête du classement des buteurs de la Bundesliga. Comment expliques-tu cette métamorphose ?
Le contexte parisien n'est pas facile à digérer pour un jeune de 18 ans. Je pense qu'à l'époque Ibisevic n'a pas été entouré comme il aurait dû l'être. C'est difficile de résister aux tentations nocturnes et de ne pas se disperser dans ces conditions… Aujourd'hui, c'est notre homme providentiel, avec 3 buts sur les deux premières journées de Championnat, un triplé en match de préparation contre Kaiserslautern et encore un but en Coupe d'Allemagne…
Le contexte allemand serait-il plus favorable à l'épanouissement des jeunes joueurs ?
Je ne sais pas trop. Ce qui est certain, c'est que les Allemands sont bien plus professionnels que les Belges ou les Français.
Quels sont tes modèles ?
D'abord les purs buteurs ! Inzaghi, Trezeguet, Luca Toni… : tous ces joueurs capables de toujours faire le geste juste pour faire gagner leur équipe. Même si je n'ai pas du tout le style de jeu d'un «renard des surfaces» , je les admire.
L'exemple de Didier Drogba, passé comme toi des clubs de la région parisienne à l'élite européenne, te donne-t-il des idées ?
Oui. Ce qu'a réussi Didier Drogba me donne confiance et m'inspire. En plus, je suis un peu dans le même registre que lui sur le terrain. J'adore ce qu'il dit dans son livre. J'ai l'impression de me reconnaître complètement dans certains passages, d'être comme lui. Mon ambition étant de jouer un jour en Premier League, l'exemple de Drogba est vraiment marquant pour moi.
Qu'est-ce qu'il te manque encore pour être au niveau de ces modèles ?
Un peu de cet instinct, qui fait que tu es un «tueur» face au but. Je crois que ça vient avec l'expérience.
Tu as choisi de jouer pour le Sénégal, alors que tu as toujours vécu en France. Penses-tu un jour regretter ce choix ?
Non, jamais. C'est le choix du coeur et des racines. Si je devais le refaire, je le referais.
Le Sénégal se déplace en Algérie la semaine prochaine en éliminatoires CAN-Coupe du monde 2010. Un pronostic pour ce match ?
J'espère que les gars feront un gros match et que le Sénégal se qualifiera pour la Coupe du monde. Je ne crois pas que je serai en Algérie, je n'ai reçu aucune convocation, mais je serai de tout coeur avec les Lions !
Hoffenheim est le club d'un village de 3000 habitants. Mais il est dirigé par le milliardaire Dietmar Hopp. Peux-tu nous en dire plus sur ce personnage ?
Il est à l'image du club : c'est la discrétion même. Tout le contraire d'Abramovitch, quoi ! Je ne l'ai jamais vu intervenir dans le sportif. On le voit très peu, mais c'est un authentique passionné. Avec lui, on peut aller loin.
Né à Sèvres en 1985, Demba Ba a dû passer par la Belgique et l'Excelsior Mouscron pour lancer sa carrière professionnelle. Monté en Bundesliga avec Hoffenheim, il ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. International sénégalais depuis 2007, il ambitonne de jouer un jour en Premier League.